Lorsque je suis arrivé à la maison d’Hugues, il m’a transmis par téléphone la cachette de ses clés en m’expliquant qu’il ne rentrerait qu’à 20 heures, mais qu’il m’avait préparé une tajine au frigo afin que je puisse me la réchauffer, qu’il y avait de la bière et du vin que je ne devais pas hésiter à me servir. Il m’a aussi expliqué le fonctionnement de sa lessiveuse. Bref j’étais chez moi. Tout cela en donativo.
 L’entrée en matière était très sympa mais j’avoue qu’à son arrivée, le contact fut assez froid. Il avait un regard fuyant et une attitude peu chaleureuse. Nous engageons une conversation courtoise mais superficielle.
Soudain il tend l’oreille, me dit « brame » puis saute sur la terrasse allume un spot portatif et m’appelle. Au fond du jardin : un grand cerf. Malgré le faisceau braqué sur lui, il s’éloigne lentement et je dois dire majestueusement.
Une fois rentrés, j’ai affaire à un autre homme. Le regard brillant, il devient intarissables. Encore un passionné, mais pour moi, dans un genre nouveau. Lui, il s’est installé dans cette région après sa carrière militaire pour pouvoir pratiquer la chasse à courre. Il fait partie d’un équipage composé d’un noyau d’une dizaine de cavaliers et d’un maître d’équipage, responsable d’une meute de 180 chiens. J’ai l’impression d’être tombé sur un cas unique, mais il me détrompe, il existe 350 de tels équipages en France. Mais il n’y a que dans le sud-ouest qu’une telle chasse ne connaît pas la propriété privée. Si je ne partage pas ses points de vue, la soirée a été super instructive au sujet d’une pratique d’un autre âge qui en a gardé le vocabulaire et les traditions.
La maison Hugues étant à peu près 2 km en dehors du chemin, en principe je devrais en parcourir 35 aujourd’hui. Mon hôte me propose un autre trajet plus court de 4 km. Comme la météo me promet une journée pluvieuse, un raccourci me permettant d’être au sec une heure plus tôt et bien tentant.

Son explication du chemin à prendre tient sur huit lignes pour une trajectoire de 31 km. Dans mon topoguide il y a 2,5 pages pour 35 km. Et pourtant cela a suffit.
Le premier repère est assez simple : un voilier ensablé dans un jardin.
Je traverse les bois aux aguets. J’espère revoir le cerf. Bien que Hugues m’ait expliqué que dans ce cas, il valait mieux ne pas le regarder et s’écarter au plus vite. Ces animaux sont en rut et n’hésitent pas à charger les humains pour défendre leur horde. 
Je ne vois aucun gibier. Par contre qu’est-ce que j’entends tirer dans les bois autour de moi. Mais Hugues m’a rassuré ce matin. En France il n’y a en moyenne que deux accidents de chasse mortels par an. Et le plus souvent c’est un chasseur qui est également la victime. Alors, si les statistiques sont avec moi…
Parfois une petite tache de couleur quand même entre le jaune des pistes et le vert des pins. Il pleut ou il pleuvine tout le temps avec un vent qui vient trois quarts de face. Je marche donc accompagné par le bruit du vent dans les grands pins et celui des gouttes projetées sur mon capuchon. 
Marcher dans ce sable mou devient vite plus fatiguant.
Je sors de la forêt et je rencontre des fermiers occupé récolter le maïs. À ce stade, il y a longtemps que je n’ai plus un poil de sec. À ce moment, Richard, qui va m’héberger ce soir, me téléphone. Très gentiment, il s’inquiète de ma progression par ce temps.
J’en profite pour faire un selfie. En fait, je vois à peine à travers mes lunettes éclaboussées.

Je retrouve le balisage, et c’est rassurant, pour une dernière ligne droite sur le bitume. J’entends comme un bruit de succion qui vient de l’intérieur de mes bottines.
J’ai l’impression que cette route ne finira jamais, je me demande si ce Labouheyre existe vraiment. 

Mais oui, même les longues routes mouillées ont une fin!
Je suis accueilli au Château Arnaudin par Richard (Arnaudin) qui sera aux petits soins pour moi. 
Pour commencer, j’ai du enlever mes bottines, mes bas, ma veste et ma casquette pour qu’il puisse les mettre à sécher à côté du feu de bois. Puis, après m’avoir installé et laissé prendre une bonne douche chaude, il m’a fait visiter la demeure qui a appartenu à ses arrières grands-parents. Il a pu la racheter après qu’elle soit passée à des acquéreurs étrangers et laissée 35 ans inoccupée quoiqu’encore meublée. Il me fait également visiter le parc et insiste pour me photographier devant un cèdre du Liban inscrit à l’inventaire des arbres remarquables. 

Et surtout, il consacre sa soirée à me parler de l’oncle de son grand-père, Félix Arnaudin. Ce poète, ethnologue, photographe a consacré sa vie à recueillir un maximum de témoignages d’une société landaise en voie de disparition depuis le décret de 1857 qui allait installer ici une forêt industrielle mais aussi un capitalisme ravageur. 
Qu’elle est loin cette époque où la lande était « une terre inhabitée, vide à donner le vertige », celle où paissaient encore ici de nombreux troupeaux avec leurs bergers sur des échasses
Outre des recueils de photographies, de proverbes, de chansons, de contes, il me montre des daguerrotypes, genre de négatifs sur verre, originaux, des courriers, … des trésors.

Ce bambin en béret endormi à côté de l’âtre à la fin du XIXe siècle, c’est le papy de Richard. Il ne sait pas encore qu’il combattra à Verdun. 

Dans ma chambre… la revue Confidences date de 1950. Je dors dans un endroit hors du temps.
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